Pourquoi les banques restent méfiantes face aux cryptomonnaies

Les chiffres de la capitalisation du bitcoin dépassent parfois ceux de grandes entreprises du CAC 40, mais les banques traditionnelles gardent leurs distances. Malgré l’attrait grandissant des cryptomonnaies, l’écosystème bancaire demeure sur ses gardes, freiné par une série de préoccupations qui ne relèvent pas du prétexte.

Les banques classiques restent en retrait face aux cryptomonnaies, et ce n’est pas qu’une question de réputation. Derrière ce choix se cachent des inquiétudes bien réelles autour de la sécurité et des obligations réglementaires. Les transactions en crypto sont souvent entachées d’une image sulfureuse, perçues comme des terrains fertiles pour les opérations douteuses et le blanchiment d’argent. L’absence d’un encadrement solide complique encore plus la gestion de ces actifs numériques par les établissements bancaires.

Un autre point de friction bloque les ardeurs bancaires : la volatilité extrême des cryptomonnaies. Les montagnes russes du bitcoin ou de l’ether ne font rêver ni les directeurs de risques ni les clients prudents. Les banques optent ainsi pour des actifs plus stables, préférant miser sur la prévisibilité plutôt que de se laisser happer par des fluctuations qui peuvent balayer en quelques heures des mois de gains.

Les risques financiers et réglementaires associés aux cryptomonnaies

Les institutions bancaires font face à des risques financiers d’envergure dès lors qu’elles s’aventurent sur le terrain des cryptomonnaies. Les variations brutales de valeur rendent la gestion des portefeuilles hasardeuse. Prenons l’exemple du bitcoin : sa valeur a oscillé de 3 000 à 60 000 dollars en l’espace de quelques années, de quoi mettre à mal les stratégies les plus rodées.

Pour mieux comprendre les mesures prises par les banques, voici quelques exemples concrets :

  • Le Crédit Agricole Atlantique Vendée a bloqué un virement de 15 000 euros destiné à la plateforme Kraken, illustrant la politique de précaution appliquée par certains établissements.
  • Le Crédit Mutuel Alliance Fédérale exige des investisseurs en crypto une lettre de décharge, afin de limiter leur responsabilité face aux pertes éventuelles.

Les cadres réglementaires

La question réglementaire ajoute une couche supplémentaire de complexité. L’Union européenne a franchi un cap en 2023 avec l’adoption des règles MiCA, censées harmoniser la supervision des crypto-actifs. Mais la traduction de ces textes dans le quotidien bancaire reste laborieuse.

En juin 2022, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont trouvé un accord préliminaire. Pourtant, la mise en place concrète de ces nouvelles règles s’annonce longue et semée d’embûches. Face à des législations mouvantes, les banques doivent sans cesse adapter leurs pratiques.

Les responsabilités des institutions financières

En matière de conformité, la pression est palpable. Entre les exigences de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et celles de l’Autorité bancaire européenne (EBA), chaque transaction en crypto est scrutée. L’objectif : empêcher le blanchiment ou le financement du terrorisme. Cette surveillance accrue implique des coûts non négligeables et des processus de contrôle lourds, qui freinent encore un peu plus l’adoption des cryptomonnaies par le secteur bancaire.

Les préoccupations liées à la sécurité et à la fraude

Le lien entre cryptomonnaies et activités illicites n’a rien d’un fantasme pour les banques. Le caractère décentralisé et discret des transactions en crypto facilite la tâche des fraudeurs et complique celle des enquêteurs. Au sein des services de conformité, on doit composer avec des technologies évolutives et un environnement en perpétuel mouvement pour tenter de garder une longueur d’avance sur les fraudeurs.

La blockchain, souvent perçue comme un rempart, ne protège pas de toutes les attaques. Les piratages de plateformes d’échange se sont multipliés ces dernières années, avec des montants parfois vertigineux. En 2020, KuCoin a perdu plus de 280 millions de dollars suite à une faille de sécurité. Ces épisodes, loin d’être isolés, alimentent la méfiance du secteur bancaire.

Les défis de la traçabilité et de la surveillance

Autre écueil de taille : la traçabilité des flux. Les mécanismes actuels de suivi ne suffisent pas à répondre aux exigences des régulateurs, qui réclament transparence et réactivité. Les banques se retrouvent alors face à un dilemme : comment garantir la conformité sans disposer des outils adéquats ?

Une étude menée par l’Association CryptoFR, sous la houlette de Quentin de Beauchesne, met en lumière la position ferme des banques : la majorité refuse les opérations en crypto principalement pour des raisons de sécurité. Rachel Barkai, arbitre de litiges impliquant les banques Hapoalim et Discount, note que les établissements financiers préfèrent s’abstenir plutôt que de s’exposer à des risques juridiques ou de réputation.

Pour rester dans les clous, les banques investissent dans des outils de surveillance sophistiqués et multiplient les formations en interne. Ces efforts visent à répondre aux exigences réglementaires tout en diminuant la probabilité de fraudes.

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L’impact des cryptomonnaies sur le modèle économique des banques

Les cryptomonnaies n’ont pas seulement bousculé les habitudes, elles ont poussé les banques à réfléchir à l’avenir de leur propre modèle. La montée en puissance des monnaies numériques de banques centrales (MNBC) en est un signal fort. La Banque des règlements internationaux (BRI) indique que 86 % des banques centrales, dont la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (FED), envisagent le lancement de leur propre monnaie numérique. Une telle évolution pourrait rebattre les cartes pour les banques commerciales, notamment sur leur rôle dans l’émission et la gestion de la monnaie.

Des initiatives concrètes témoignent de cette transformation : le yuan numérique circule déjà à titre expérimental dans plusieurs provinces chinoises, des tests sont en cours en Suède, et la Lituanie a franchi le pas dès juillet 2020 avec sa propre version numérique. Ces avancées obligent les banques à inventer de nouveaux services et à repenser leur offre pour ne pas se laisser distancer.

L’expérience Libra (devenue Diem), portée par Facebook, a mis un coup de projecteur sur l’appétit des géants de la tech pour le secteur des cryptomonnaies. Si le projet a été accueilli avec méfiance par les autorités, il a révélé l’ampleur du bouleversement potentiel pour la finance traditionnelle. Les banques doivent ainsi répondre à une demande montante pour les services liés aux crypto-actifs, tout en accélérant leur adaptation au rythme de l’innovation technologique.

Jamal Bouoiyour, enseignant-chercheur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, l’affirme : il serait imprudent pour les banques de rester figées. La bascule vers une économie plus numérique, accélérée par la montée des cryptomonnaies, pourrait transformer en profondeur le secteur bancaire. Les prochaines années diront si les banques sauront transformer cette menace en opportunité, ou si elles risquent de rester spectatrices d’une révolution qui se joue sans elles.